A vos masques !

Octobre 2020.

Si le masque couvre un champ sémantique très large, de l’univers théâtral, festif et religieux aux masques de beauté… son acception sanitaire se cantonnait, en dehors des champs de bataille, aux nécessités médicales lors d’opérations à caractère chirurgical. Bien sûr ici ou là il nous arrivait de le voir porté par des touristiques asiatiques, plus inquiets des risques sanitaires que nous autres occidentaux… Et c’est étrangement venant de Chine que le coronavirus donna au port du masque une toute autre actualité.

D’abord jugé inutile par nos autorités médicales et politiques pour cause de pénurie il devint une fois les approvisionnements progressivement assurés, conseillé, provoquant des queues devant les pharmacies, puis obligatoire pour rejoindre d’autres gestes barrières contre la contamination. Il prit des formes et des couleurs variées du bleu sainte vierge au noir en passant par le blanc sans oublier les tissus multicolores des masques artisanaux fabriqués par nos soins lors des longues journées d’inactivité. Répondant à des fonctions plus ou moins filtrantes, des ports plus ou moins fantaisistes, du bas des yeux, glissant sous le nez, ou pour les récalcitrants en position bavette. La police était là, attentive à faire respecter le double confinement, cloîtrés dans nos logis ou en cas de sorties dûment justifiées sous nos masques.

En bon petits soldats, puisque nous étions « en guerre », nous avons fini par nous y soumettre car on nous le répétait à longueur de journées il ne s’agissait pas seulement de nous protéger craintivement des autres mais généreusement de préserver les autres. Égoïsme et altruisme miraculeusement réunis sous ce morceau de tissu dans un sentiment de bonne conscience généralisée.

Pas facile pourtant d’avancer masqués, de vivre, de sentir, de parler, d’embrasser, d’étreindre. Au-delà de l‘impression de manquer d’air c’est surtout cette difficulté de nous reconnaître, de communiquer, d’exprimer nos émotions, de ponctuer nos phrases, de nuancer nos propos qui nous sépare des autres au point parfois de devenir cause de malentendus. Bien sûr, il reste le regard que le masque chirurgical laisse apparaître ce que le loup de carnaval obture. Alors au moins cette période nous aura-t-elle appris la nécessité de mieux faire parler nos yeux…

Et c’est là justement que le travail d’Arnaud Chochon trouve sa source et explore toutes les facettes de cette problématique. Car quoi de plus frustrant pour un photographe portraitiste que de ne plus avoir accès à toutes ces informations contenues sur un visage et qui nous permet grâce à l’action de nos muscles zygomatiques d’exprimer nos émotions. Certes le regard est important et ces hommes et femmes de tous âges captés par l’appareil d’Arnaud Chochon nous le prouvent et disent cette capacité de résistance à la situation à la fois sanitaire mais aussi photographique.

Mais l’intérêt de cette série réside aussi dans le protocole que met en place le photographe en intégrant un dispositif par lequel le modèle devient partie prenante de son portrait. Il demande à chacun d’intervenir en exprimant par un mot ou un dessin inscrit sur son masque ce que la situation lui inspire. Agissant à la manière des bulles de bande dessinée ou de sous-titre d’un film muet ils y déposent une parole que leurs bouches cousues, invisibles, ne peuvent articuler. Paroles empêchées et vécu par certains comme une forme de liberté bâillonnée.

Les torses nus participent de cette sensation de fragilité face au virus et font de ces masques au centre de l’image des formes abstraites qui voilent les identités. Ils sont aussi le signe de l’étrange période de distanciation sociale que nous traversons puisque, jadis interdits dans l’espace public au nom de l’ordre républicain, ils sont devenus obligatoires en période de pandémie par respect de l’ordre sanitaire…

Dominique Roux

Portfolio pdf à télécharger ici : https://arnaudchochon.files.wordpress.com/2020/10/masque.e.s-2.pdf